samedi 21 juillet 2007

Présentation de REASEN

I. Situation actuelle

L'industrie de l'arachide au Sénégal est en crise depuis de nombreuses années.

En plus du changement climatique, de la baisse de fertilité des sols et de la raréfaction de l'eau, les cultivateurs d'arachide sénégalais souffrent de deux maux majeurs:

-         le manque d'outils et intrants appropriés pour améliorer leurs pratiques et rendements agricoles, dans un cadre international qui laisse peu de place au manque de compétitivité ;

-         le peu de débouchés commerciaux pour leurs récoltes en raison d'une qualité non conforme aux standards européens et au Codex Alimentarius de la FAO.

Ces problèmes concernent environ 70% des agriculteurs sénégalais -ou encore les 40% de la population sénégalaise dont le revenu est directement lié à la culture de l'arachide.

II. Objectifs

Un des objectifs principaux du projet de Redynamisation Ethique de l'Arachide/Agriculture Sénégalaise (REASEN™) est dans un premier temps de permettre aux cultivateurs d'arachide sénégalais d'améliorer la qualité et les rendements de leur arachide tout en ayant un rôle aussi avancé que possible dans la chaîne de valorisation de la filière. Le but in fine étant d'obtenir une arachide de qualité supérieure, en quantités importantes et avec des niveaux d'aflatoxine en deçà des maxima européens afin de pouvoir la valoriser comme arachide de bouche sur le lucratif marché de l'export.

L'objectif ultime à long terme de REASEN reste cependant la redynamisation de l'agriculture sénégalaise en général.

III. Un problème structurel

Les filières d'exportation d'arachide des principaux pays exportateurs sont généralement orientées vers l'arachide de bouche (par opposition à l'arachide d'huilerie), qui est un débouché bien plus rémunérateur et procure des revenus d'exportation substantiels aux opérateurs de cette filière. Paradoxalement, l'arachide sénégalaise est principalement écoulée auprès des huiliers nationaux ou sur les marchés locaux pour une consommation traditionnelle à faible valeur ajoutée.

Cela est dû principalement à deux facteurs structurels de la filière arachide au Sénégal:

-         L'organisation top-down de la filière dûe au poids historique de l'industrie d'huilerie au Sénégal et la réticence de la SONACOS (société d'Etat récemment privatisée) à voir détourner une partie de ses approvisionnements;

-         La dégradation dès la fin des années 80 de la qualité des arachides sénégalaises en raison de la non différenciation de l'arachide de bouche par rapport à l'arachide d'huilerie, de l'utilisation réduite de semences de qualité et de mauvaises pratiques post-récolte.

Ces circonstances réunies ont mené à des contenances élevées de l'arachide sénégalaise en aflatoxine, substance hautement toxique et cancérigène. Cela est devenu un réel problème pour le Sénégal à partir de 1999 suite à la réglementation mise en place par l'UE, premier marché mondial avec 500 000 tonnes d'arachide base coque importées par an. Il y a été adopté un seuil maximum de 4 µg d'aflatoxine par kg d'arachide destiné à la consommation directe et 15 µg par kg pour l'arachide destinée à la consommation indirecte, alors que la quantité moyenne d'aflatoxine contenue dans les productions sénégalaises varie entre 50 et 800 µg par kg !

IV. Un créneau et des paysans qui agonisent

Cette réglementation radicale a fortement restreint l'accès au marché européen: l'arachide sénégalaise ne peut (quasiment) pas y être exportée en tant qu'arachide de bouche et est, à l'export, systématiquement pressée en huile, qui est par la suite désaflatoxinisée selon un procédé mis au point par l'ITA. Parallèlement, avec la diversification de l'offre d'huiles végétales et le succès d'huiles meilleur marché telles que l'huile de palme, ou ayant de meilleures vertus pour la santé telles que l'huile d'olive, ou encore ayant gagné les faveurs gustatives des consommateurs telles que l'huile de tournesol ou de colza, l'huile d'arachide peine à trouver sa place et représente un créneau de moins en moins porteur pour l'arachide sénégalaise. Et pourtant le Sénégal reste LE premier exportateur mondial d'huile d'arachide...

Ainsi, la grande majorité de l'arachide sénégalaise produite chaque année ne répondant pas aux standards internationaux en matière de qualité et de sécurité alimentaire, elle ne peut être exportée en tant qu'arachide de bouche (produit noble de l'arachide qui se vend à un prix nettement plus rémunérateur que l'huile et dont la demande internationale croît de 2,2% annuellement) et ne peut être valorisée que sous forme d'huile d'arachide (produit dont la demande a largement baissé et dont la production, pour une valeur commerciale identique, nécessite 3 fois plus d'arachide base coque que l'arachide de bouche) ou vendue à des prix bradés à des intermédiaires -souvent mauvais payeurs- pour les marchés locaux. Il en résulte un manque cruel de débouchés pour les cultivateurs sénégalais d'arachides qui se retrouvent dépendants de l'Etat sénégalais pour des subventions et des industriels huiliers pour racheter leur récolte à un prix décent. Mais même ces derniers jugent les prix payés aux paysans trop élevés par rapport aux cours internationaux.

Il en résulte que la configuration actuelle de l'industrie arachidière au Sénégal aggrave doucement mais sûrement la précarité de ses paysans.

V. Une réponse appropriée

Ce que nous envisageons de faire pour redynamiser l'industrie arachidière sénégalaise et fournir à ses paysans les outils d'un développement approprié, passe par la décentralisation de cette industrie et de ses moyens de production. Nous estimons en effet que pour arriver à une arachide de bouche de qualité supérieure en quantités sensibles, il faut permettre aux paysans de valoriser leur récolte en amont de la filière et leur en proposer une rémunération indexée sur sa qualité.

Pour cela, nous concentrerons nos efforts dès aujourd'hui sur l'arachide de bouche, au travers de:

-         La mise en place d'un programme intégré d'accompagnement de paysans ayant pour objectif une amélioration durable de la qualité et des rendements de l'arachide produite. Ce programme se déclinera notamment sous la forme d'un approvisionnement des producteurs en semences certifiées, d'une traçabilité des récoltes du semis au décorticage, du conditionnement des arachides en sacs polypropylène, le tout selon une charte de qualité établie conjointement avec le CIRAD

-         La distribution de décortiqueuses manuelles, bon marché et ayant de faibles taux de cassage des graines, afin que les paysans puissent valoriser leur arachide à la base même. Cet outil aura la double utilité d'être à la fois un intrant qui servira à décortiquer les semences certifiées et un outil post-récolte de valorisation de l'arachide produite.

-         Le rachat à un prix indexé sur la qualité de l'arachide et la création d'un marché à l'export pour l'arachide de bouche sénégalaise afin de commercialiser la récolte ainsi produite et valorisée par les paysans même.

Ce programme sera initié sous sa forme pilote avec des paysans sélectionnés pour leurs pratiques et des objectifs correspondant à notre charte.

VI. Une technologie appropriée

La décortiqueuse que nous allons introduire au Sénégal est une version améliorée d'une technologie qui a été testée dans plusieurs autres pays du Sud, notamment en Ouganda, aux Philippines et au Guatemala, pour ne citer que les endroits où elle a été le plus largement diffusée. Elle fut initialement développée en 2001 par Jock Brandis, un canadien d'origine hollandaise, et distribuée par le Full Belly Project, une association américaine à vocation non-lucrative créée en 2003 dans le but d'en assurer la dissémination.

Autant les experts du développement que les communautés locales s'accordent pour louer l'efficacité de cette technologie. C'est effectivement une machine dont le concept a été éprouvé et/ou approuvé par des autorités mondiales telles que le MIT, Popular Mechanics ou encore Jimmy Carter et dont la preuve de l'efficacité n'est plus à refaire. Elle est principalement faite de béton, ce qui en réduit considérablement le coût, et permet de décortiquer une cinquantaine de kilos d'arachide à l'heure avec des taux de cassage des graines de l'ordre de 10%. Généralement, trois personnes actionnent ensemble la décortiqueuse: une personne pour tourner la manivelle, une personne pour l'alimenter en arachide et une autre pour vanner le rendu et séparer les graines des cosses.

Nous sommes actuellement en train e mettre au point une version améliorée de cette technologie afin de mieux l'adapter aux contraintes de la culture de l'arachide au Sénégal et aurons un prototype "100% Made in Senegal" à présenter courant août. Son prix de commercialisation se situera dans les alentours de 60,000 FCFA.

VII. Résultats escomptés

Parmi les impacts potentiels de l’initiative de REASEN™, on retient notamment:

  1. Le transfert progressif des activités de transformation primaire (tri, calibrage, décorticage) vers les paysans; 
  2. L'augmentation des revenus des familles rurales de manière rémunératrice et durable ;
  3. La réduction du coût des semences et une potentielle reconstitution du capital semencier;
  4. L'amélioration des rendements et de la qualité de l'arachide sénégalaise ;
  5. Le développement à la base de la filière arachide de bouche;
  6. L'allongement de la période du travail productif dans les campagnes au-delà de la période des travaux agricoles grâce à la création de nouvelles activités;
  7. L'atténuation de l 'exode rural grâce aux opportunités de génération de revenus offertes dans les villages;
  8. La création d'un marché à l'export pour l'arachide de bouche sénégalaise et une compétitivité accrue du Sénégal sur la scène arachidière mondiale.

La réduction durable de la pauvreté restera le fer de lance de REASEN™.

VIII. Filière biocarburant

Nous nous nous concentrerons également sur le développement de la filière biocarburant, en faisant notamment la promotion de la culture de la jatropha curcas (tabanani en wolof) auprès de nos paysans partenaires et en mettant à leur disposition nos technologies. Le décorticage des noix de tabanani pourra en l'occurence s'effectuer au moyen de la même décortiqueuse que celle utilisée pour l'arachide.

IX. Conclusion

Pour résumer, cette redynamisation éthique -car allant  directement au bénéfice du paysan- de l'agriculture sénégalaise se fera grâce à la distribution de décortiqueuses et de semences certifiées d’arachide à très bas coût, au transfert au bénéfice des ruraux des activités de transformation primaire telles que le tri, le calibrage et le décorticage, mais aussi et surtout grâce à des activités commerciales normalisées avec les organisations paysannes, visant à assurer aux paysans des revenus indexés sur la qualité de leur travail. Les perspectives de diversification des sources de revenus agricoles seront également encouragées, notamment par la promotion des biocarburants.

 

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